Le Dr Pierre-Michel Périnaud en lutte contre les pesticides
DR PERINAUD CONTRE LES PESTICIDES. Un entretien avec le Dr Pierre-Michel Périnaud sur la nocivité des pesticides.
Medscape édition française : D’où vient votre engagement autour des pesticides ?
Dr Pierre-Michel Périnaud : Il y a quelques années, j’ai été interpellé par une association de riverains en limite de la Haute-Vienne (87) et de la Corrèze (19). L’association s’est constituée par rapport aux épandanges de pesticides dans la pommiculture. À l’époque, l’expertise collective de l’Inserm n’avait pas encore été publiée (« Pesticides, effets sur la santé », 2013). Je trouvais que les questions de ces riverains étaient légitimes, mais je n’avais pas d’avis particulier. J’ai fait des recherches et je me suis aperçu que certaines données scientifiques permettaient de s’interroger.
Medscape édition française : Votre association, l’AMLP, s’est-elle impliquée dans le débat récent sur les distances minimales entre habitations et zones d’épandages [1] ?
Dr Périnaud : Nous avons participé à tout le processus qui a mené à la consultation publique et nous avons soutenu des maires ayant pris des arrêtés de protection des riverains contre les pesticides. Nous avons joué le jeu démocratique en donnant notre point de vue. Plusieurs études épidémiologiques montrent des effets sanitaires chez les riverains. Elles indiquent aussi que le transport des pesticides via les airs peut aller très loin. Une haie ou une distance de 10 mètres ne sont absolument pas suffisantes. Puisqu’il faut donner une distance-limite, nous défendons des zones-tampons de 150 mètres. Elles pourraient servir à expérimenter un autre type d’agriculture, par exemple du maraîchage bio. Nous ne voulons pas la mort de l’agriculture, au contraire. Ce n’est pas le sujet. Le sujet, c’est : peut-on balancer des produits cancérigène, mutagène et reprotoxique (CMR) et des perturbateurs endocriniens sous les fenêtres des riverains ou à côté des écoles ? Ça paraît surréaliste ! Il y a, évidemment, des précautions à prendre.
*Du 9 septembre au 4 octobre 2019, une consultation publique a eu lieu entre agriculteurs, associations et riverains. Le débat portait sur la distance minimale à respecter entre les habitations et les épandages de pesticides. Un décret est annoncé pour le 1er janvier 2020.
Medscape édition française : Abordez-vous ces sujets en consultation avec vos patients ?
Dr Périnaud : Oui. Je suis installé à Limoges dans un quartier populaire. Tous les ans, des chômeurs de longue durée vont travailler comme salariés agricoles dans les vergers de pommes. Ils m’en parlent à cette occasion car ils ont bien conscience qu’on les fait travailler dans des conditions difficiles. J’ai aussi des questions du public, par exemple des jeunes femmes qui envisagent une grossesse ou qui s’interrogent sur la nourriture des enfants. Notre association a choisi de mettre l’accent sur la prévention. En guise d’accroche, j’utilise des affiches sur la grossesse que l’association a réalisées en collaboration avec les services de gynécologie et d’endocrinologie du CHU de Limoges. Ces affiches sont apposées dans la salle d’attente et au-dessus de la zone d’examen des enfants. Ma patientèle est issue d’un milieu populaire. Ce n’est pas un obstacle. Il ne s’agit pas de faire de la prévention pour les bobos. Les gens ont bien compris les enjeux et l’importance de manger bio, même si certains n’en ont pas les moyens. Ils savent qu’en milieu rural, on peut s’approvisionner en bio par les circuits courts, pour un coût qui n’est pas forcément plus élevé.
Medscape édition française : Constatez-vous une augmentation des maladies professionnelles liées aux pesticides chez les agriculteurs ?
Dr Périnaud : Les statistiques constatent cette augmentation. C’est indiscutable. Mais le faire reconnaître, c’est difficile. Il faut une volonté de la part de l’agriculteur de déclarer sa pathologie en maladie professionnelle. Il faut une volonté de son médecin de l’aider à le faire. Et il faut qu’en face, la Mutualité sociale agricole (MSA) ne glisse pas sa demande sous le tapis. Ces conditions sont difficiles à réunir. Certains agriculteurs ont l’illusion de maîtriser leur outil de travail et se sentent directement mis en cause lorsqu’on aborde ce sujet. Il y a un déni chez certains d’entre eux. Une résistance bien normale.
Medscape édition française : Faire reconnaître une maladie professionnelle liée aux pesticides, est-ce un parcours du combattant ?
Dr Périnaud : Dès que vous ne rentrez plus dans les cases des maladies professionnelles reconnues, le Parkinson, le lymphome malin non-hodgkinien, le myélome et la leucémie lymphoïde chronique, vous êtes hors-tableau et c’est plus compliqué. Or, beaucoup de pathologies rencontrées chez les agriculteurs ne rentrent pas dans les tableaux. Avec l’association Phyto-Victimes, nous avons plusieurs dossiers de patients étiquetés dépressifs ou fibromyalgiques, à la lisière du neurologique et du psychologique. Chez eux, la dégringolade peut trouver une cause d’ordre social. La crise agricole est bien réelle ! Mais il y a quand même autre chose, bizarre, sur lequel il est difficile de mettre un nom. Prenez un cancer de la vessie chez un ouvrier agricole travaillant dans des serres : il faut aller au casse-pipe pour le faire reconnaître ! Il n’est pas dans les tableaux. L’étude Agrican [1] a établi très clairement le lien, mais pour l’instant, ce cancer n’est pas reconnu comme maladie professionnelle chez les agriculteurs. Idem pour les tumeurs cérébrales. Entre un pommiculteur et un céréalier, les expositions ne sont pas les mêmes. Néanmoins, l’étude Agrican a montré que les 18 types de tâches agricoles sont associés à un surrisque de cancer.
Medscape édition française : En tant que médecin généraliste, comment pouvez-vous aider ces personnes ?
Dr Périnaud : En tant que médecin généraliste, je n’ai pas à prouver le lien entre l’exposition professionnelle et la maladie. Quand j’estime qu’il y a un lien entre une pathologie présentée par un patient et une exposition professionnelle, mon devoir est de le déclarer. Après, c’est tout un parcours pour la personne. Elle va devoir prouver son exposition.
Medscape édition française : Vos confrères médecins sont-ils aujourd’hui sensibles aux sujets environnementaux ?
Dr Périnaud : Oui, nous avons interrogé des médecins, dans le cadre de l’association de formation continue MG Form, pour leur proposer un module de formation sur ces sujets. Nous avons reçu un accueil très favorable. Pourtant, beaucoup de confrères nous disent : on est loin de tout connaître et il n’y a pas assez de preuves de toxicité chez l’homme. C’est vrai, nous sommes loin de tout connaître ! Mais cela ne nous dispense pas d’agir. Le grand écart entre les données d’Agrican et la réalité du terrain mérite d’être comblé. Notre système sanitaire est basé sur la toxicologie, donc des études chez l’animal. Pour autant, faut-il attendre la preuve chez l’homme sachant que les études épidémiologiques demandent un très long recul ? Il faut se poser ces questions éthiques.
Medscape édition française : N’est-ce pas tout le problème du glyphosate ?
Dr Périnaud : Les agences de régulation sanitaire comme l’ANSES disent que le glyphosate n’est pas cancérigène. En face, le CIRC (Centre international de recherche sur le cancer), qui dépend de l’OMS (Organisation mondiale de la santé) estime que le glyphosate est un cancérigène probable. Pour arriver à cette conclusion, le CIRC s’est penché sur la littérature publiée dans des revues avec comité de lecture. Or 73 % de ces études montrent un caractère génotoxique du glyphosate. De son côté, l’Agence européenne de sécurité des aliments (EFSA) regarde en priorité les données industrielles dont 1 % seulement met en évidence un effet génotoxique du glyphosate (Voir aussi : Agences sanitaires : sont-elles indépendantes ? L’exemple du glyphosate). On voit bien qu’il y a un conflit d’intérêt institutionnel. Si l’Europe reconnaissait que le glyphosate est un cancérigène probable, il serait classé CMR1B. Il devrait être retiré du marché. Mais, en arrière-plan, l’affrontement politique et juridique est lourd.
AMLP : des médecins très présents sur le front de l’écologie
Sous ses airs sages et provinciaux, l’association Alerte des médecins sur les pesticides (AMLP), dont l’appel fondateur lancé en 2014 a été signé par quelque 1 700 médecins, est redoutablement active. Elle a fait partie en 2017 des organisations du monde médical appelant à un non-renouvellement de l’autorisation du glyphosate en Europe. Présente sur tous les fronts, on la trouve aujourd’hui dans les tribunaux administratifs, via ses représentants qui n’hésitent pas à poussr un « coup de gueule » quand il s’agit de défendre les maires convoqués pour avoir pris des arrêtés anti-pesticides ou de dénoncer les maladies de Parkinson chez les agriculteurs provoquées par les produits phytosanitaires. En octobre 2019, l’association a signé une tribune dans Mediapart pour s’opposer aux renouvellements d’AMM de substances suspectées d’être des perturbateurs endocriniens et depuis 2016, l’AMLP mène campagne pour la protection des femmes enceintes et des nourrissons contre les polluants susceptibles d’agir sur le système hormonal.